L'autre soir, il nous est arrivé un truc peu commun. Nous avons été conviés à un bien étrange dîner. 

Nous devions bien être une bonne trentaine. La table couverte d'une nappe noire n'était pas dressée. Malgré la sobriété du lieu, nous avons vite compris que les deux jeunes femmes qui nous accueillaient étaient sœurs et filles de bonne famille.

Elles s'affrontaient dans un curieux face à face. Elles parlaient de leurs vies, de leur métier, de leurs parents décédés... Mais le sujet principal était la présence inhabituelle en ce lieu, d'un invité exceptionnel : leur frère. 

L'une d'elles commença à dresser le couvert. Délicatement, elle déposa devant chaque convive une magnifique assiette rouge en carton. Puis, au fil de la conversation dont le ton montait à chaque échange, elle pliait, de plus en plus nerveusement, des serviettes en papier jaune. Ensuite elle vint les déposer près des assiettes. Les deux sœurs n'étaient pas d'accord sur le fait d’accueillir ce frère à la maison. Philosophe de son état, ce dernier était aussi malade et résidait dans un hôpital psychiatrique. 

A l'arrivée de celui-ci fit encore monter d'un cran la pression. A son accoutrement, nous pûmes vite constater qu’en effet, il était un peu fantasque.

La sœur préposée au service, toujours plus nerveuse, déposa dans chaque assiette un petit morceau de melon jaune. Pris dans la tourmente de leur histoire familiale, personne n'osa s'aventurer à goûter cette entrée. Alors que la tension était palpable, elle servi à nouveau toute la tablée. Cette fois-ci, nous avons eu droit à des saucisses du genre Knaki. Décidément, nous allions de surprises en discussions houleuses sans savoir jusqu'où cela irait. 

La dispute prenait de plus en plus d'ampleur, chacun y allant de ses mots doux pour décrire les caractères ombrageux de chaque membre de cette famille atypique. 

Si nous avons été incapables d'avaler la moindre petite bouchée de ce singulier repas, nous sommes restés bouche bée devant cette fratrie en furie et avons bu les paroles de ce trio pour le moins étonnant. 

Chaque réplique claquait comme une gifle. Il aurait été impossible à quiconque de s'endormir lors de ce repas mouvementé. D'autant plus que le ton ne cessait de monter, jusqu'à ce que le frère, aux prises avec ses démons familiaux, se mette à hurler après ses sœurs pour une sombre histoire de portraits qu'elles auraient fait réaliser par un jeune artiste peintre. 

Au fil des minutes, de simples invités, nous sommes devenus spectateurs impuissants, pris au piège d'une scène incroyable dans laquelle l'amour fraternel se mêlait à une haine familiale viscérale. Nous ne saurions dire si nous étions complices ou otages de cette histoire aussi étrange qu'envoûtante. 

Ça aurait été parfait pour le thème de la Semaine d'Information sur la Santé Mentale. D'ailleurs, on va peut-être les contacter pour leur proposer de vous inviter à dîner au mois de mars. Ça vous tente ? 

Ah, au fait, petite précision au passage, nous étions au théâtre de Bastia ! C'était une pièce que nous avions volontaire choisi ! Nous avons trouvé les trois acteurs magnifiques et cirant de vérité. La mise en scène surprenante nous a permis de vivre et ressentir l'intensité du jeu, les émotions et les vibrations de ce trio énergique. Leur jeu était porté par un texte puissant dont le rythme montre avec réalisme comment un repas de famille tourne au drame. 

Pour tout vous dire, en sortant, on n'avait plus faim ! On ne sait pas trop si c'était l'odeur des saucisses ou le fait qu'on était chamboulé par les mots, le jeu, la mise en scène ou le mélange de tous ces ingrédients détonants. 

En tout cas, on vous invite à y aller si vous voulez vous rassurer et vous dire que finalement dans votre famille ce n'est pas si mal que ça... ou pas !