"I Sulleoni" sont l'occasion d'investir chaque espace de la Ville pour y proposer des rencontres. Là, c'était la minuscule place qui se trouve Carrughju Carbuccia qui accueillait le public d'un spectacle très confidentiel. Il faut dire que c'était du théâtre d'un genre peu répandu : du théâtre documentaire. Deux acteurs sur scène. Une femme assise et un homme, debout. Elle lisait. Lui, déclamait des tirades de plusieurs minutes sans aucune note. 

Ils nous ont raconté des bouts de vie. Celles de deux femmes et un homme. Tous trois d'origine maghrébine et vivant à Ajaccio. Le dernier, un ajaccien qui a fait le choix de partir sur le continent. Leurs propos, recueillis par une sociologue sont le reflet du regard qu'ils portent sur leur vie. Qu'est-ce qui les a amenés à quitter leur pays, leur famille. Comment perçoivent-ils leur parcours, quel regard portent-ils sur la Corse ? A-t-elle changé et comment ? Autant de questions qui amènent des réponses émouvantes, drôles, surprenantes, percutantes...

Ces regards croisés, kaléidoscope de notre société, nous permettent d'éclairer des zones d'ombres, de porter un regard différent sur l'autre. Cet autre, que l'on pense étrange parce que venant d'ailleurs. Soudain, le travail de recueil de la parole prend tout son sens. Et plus encore quand le comédien prête sa voix. Cette incarnation de l'expérience de vie, partagée au creux de l'oreille, fait de l'autre quelqu'un de plus proche, de plus familier. Les différences s'estompent. On se met plus facilement à sa place, se demandant comment on aurait vécu cela. Inévitablement, quelque chose se passe à l'intérieur de soi. Ça touche la tête et le cœur en même temps.

Ceci dit, toutes proportions gardées, nous aussi, au GEM, on vient d'ailleurs. Et le truc, c'est que notre ailleurs à nous, est propre à chacun. Même si, bien sûr, on partage des frontières en commun. Vous voyez, ça complique considérablement les choses...

Enfin, bref, le théâtre documentaire, on devrait peut-être s'y intéresser de plus près pour raconter nous aussi nos expériences de vie. Ça permettrait au public de faire connaissance avec nous. Ça serait chouette de voir nous voir comme des personnes à part entière et pas uniquement comme des malades. Et surtout, ça nous aiderait drôlement à aller mieux. C'est fou quand on pense, à la puissance d'un regard, à l’impact de celui que l'autre porte sur soi. D'ailleurs, bien souvent il a plus d'importance que celui que l'on porte sur soi-même !

Alors vive le théâtre documentaire, la "Compagnie du théâtre du commun", les sociologues, les comédiens et tout le tintouin !
Au fait, tant qu'on y est, vous avez vu la dernière expo du Musée sur l'identité ? Pas encore ? Nous non plus. On se verra peut-être là-bas alors, parce qu'on a bien l'intention d'y aller, d'autant que cette pièce de théâtre était une bonne entrée en matière...